Une exposition de dessins présentée du 26 mars au 6 avril 2018 par Amandine Maria, Mathilde Szydywar-Callies et Elise Olmedo au Centre de documentation en sciences sociales à la Vieille Charité, Marseille.
L’exposition « Îles au crayon » a été réalisée dans le cadre de la journée de recherches « Décrire le paysage de l’île » s’inscrivant dans le cycle préparatoire de l’exposition « Le Temps de l’île » prévue au Mucem en 2019 sous le commissariat de Jean-Marc Besse (philosophe, UMR 8504 Géographie-cités, équipe EHGO) et Guillaume Monsaingeon (philosophe, chercheur indépendant).
Au sein de ce processus d’élaboration de l’exposition, cette journée d’écriture est un temps fort qui fait suite aux séances collectives de travail ayant lieu au Mucem depuis le printemps 2017. Cette mise en exposition de l’île se fait en débat avec des chercheurs sciences humaines et sociales, des artistes, des paysagistes, des scénographes et des personnes travaillant dans les musées. Régulièrement mobilisée à l’occasion des expositions du Mucem, cette manière de faire rencontre également de façon centrale la réflexion lancée par le Centre Norbert Elias sur les nouvelles écritures scientifiques.
L’expérience îlienne, Élise Olmedo
L’entrée du Centre de documentation en sciences sociales de la Vieille Charité a exposé durant deux semaines des écritures sensibles et immédiates des îles, les « îles au crayon ». Ce lieu de passage d’étudiant.e.s, de chercheur.e.s, de lecteur.e.s de tous horizons, se fait l’écho des traversées réalisées depuis 2011 par Amandine Maria et depuis 2016 par Mathilde Szydywar-Callies dans les îles du Frioul au large de Marseille. Les traces d’expériences déposées aux murs ou à la table évoquent tant la traversée en bateau jusqu’à cet archipel, les promenades sur les îles de Pomègue et de Ratonneau que la perception îlienne de Marseille.
Cette exposition croise trois regards sur l’île, les regards artistes, paysagistes et celui des sciences sociales. Issue d’une collaboration entre Amandine Maria (artiste-paysagiste), Élise Olmedo (géographe) et Mathilde Szydywar-Callies (paysagiste), l’exposition propose de renverser le point de vue en partant de l’île, faisant ainsi dialoguer les savoirs insulaires avec le projet de paysage et l’esthétique.
Pour Amandine Maria comme pour Mathilde Szydywar-Callies, l’île est avant tout un questionnement. La construction d’un rapport à l’île est invoquée. Cette relation commence dès la traversée en bateau. Restituée de l’intérieur, cette séquence de la recherche artistique et paysagiste fonctionne comme une clef de lecture. La traversée évoque à la fois le cheminement et l’entre-deux : où commence l’île ? Quand prend-on conscience d’être sur une île ? L’île comme terrain de recherches est un horizon d’attente.
En partant d’une éthique du point de vue sur l’île, ce travail collectif fait émerger la puissance de la relation au lieu. La trace écrite, photographiée, cartographiée ou dessinée, forme le tissu d’expériences ponctuelles, ensuite relues, et pouvant renouveler les points de départ de la recherche. Travaillant au cœur de la subjectivité, cherchant à exprimer les observations en contexte, ces traces invitent à revenir à un essentiel, celui de la présence discrète et engagée dans les lieux.
L’expérience physique de l’île fonctionne ainsi comme un déclencheur d’imaginaire et de savoir. Elle suscite l’écriture, projette les questionnements et les hypothèses. La promenade dans les îles du Frioul est en ce sens à la fois une action et une attente vers d’autres expériences à venir, suspension transitoire de jugement laissant le corps à l’écoute, ouverture aux expériences des autres, chercheur.e.s, habitant.e.s.
Cartographier l’humeur de l’île, Amandine Maria
Cette exposition propose de vous promener au cœur de la construction d’un processus de création de cartes sensibles.
Ce travail a débuté lors de mon diplôme de l’École nationale du paysage de Marseille, en 2011, au cours duquel je me suis questionnée autour du rôle du sensible dans l’élaboration du projet de paysage. J’ai commencé à élaborer une démarche de cartographie des perceptions et des émotions ressenties dans le site pour accéder à son analyse scientifique. C’est en étudiant ces cartes de ce que je ressentais dans les lieux que j’ai pu comprendre, par exemple, le processus de végétalisation d’un lieu, l’histoire d’un fragment de ville, la forme d’un relief… L’émotion ne vient finalement jamais par hasard et peut, bien plus qu’on ne le croit, se partager. L’émotion est devenue pour moi un document de travail.
Cette approche des îles du Frioul fut fondatrice dans la suite de mes recherches et réalisations. Ce travail d’analyse par le sensible s’est formalisé dans une pratique quotidienne de cartes et de relevés de sites. Ma double approche d’artiste et de paysagiste me permet de concevoir un langage cartographique unique fondé sur une légende graphique précise et poétique à la fois.
L’élaboration de ce type de cartographie commence toujours par une exploration du site. Il faut aller à la rencontre du lieu, pour y vivre une expérience. Ce n’est qu’au retour de la visite, que la carte peut commencer à se construire. L’exploration du site est un moment particulier et silencieux. C’est par la marche que les lieux s’ouvrent le mieux. Il faut prendre le temps. C’est cette rencontre intime qui permet de recueillir la substance cartographique.
Les îles du Frioul me sont apparues tel un navire, immense, en proie à l’hésitation entre le retour vers la terre ferme et le départ vers le large. Elles sont un archipel dont le relief accidenté par le vent et le sel, permettent à la fois la vision proche de la ville de Marseille et de la chaîne de l’Estaque et la plongée dans l’imaginaire du large et de l’infiniment lointain. Prendre le bateau vers ces îles s’avère être un voyage, un grand départ vers une rêverie qui, finalement, amène à l’ébauche d’une compréhension du lieu.
C’est ensuite dans l’atelier que prend forme une image mentale qui va se matérialiser par la carte. Les lieux ont leurs humeurs, et les îles encore davantage. Par la délimitation de leur rivage et leur apparente extraction du monde, la tendance d’une île apparaît dans la pensée avec évidence. C’est par le dessin que le site se comprend le mieux. Il permet ce lâcher-prise qui révèle tout ce que l’on a vécu et perçu. Le dessin cartographique est un langage qui dévoile les lieux au-delà du réel.
L’écriture précipitée, Mathilde Szydywar-Callies
Les objets que vous avez sous les yeux sont des extraits d’une enquête menée lors de la découverte de l’archipel du Frioul, sujet de mon diplôme de paysagiste, encadré par Anne-Sophie Perrot et présenté en juillet 2017 à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles. Un livret Fri oul est aussi disponible à la lecture sur la table, vous y trouverez l’ensemble de mes écritures précipitées.
Partir d’une sensation ressentie sur un lieu, l’écrire comme l’on ferait un croquis, de manière instinctive, jetée, en se fiant à une image mentale saisit et interprète un paysage. Ce que l’on pourrait nommer écriture précipitée opère ainsi un premier mouvement de saisie du site. Puis dans un deuxième temps, remonter le fil de cette intuition et la mettre en relation. Quelles sont les structures de paysage qui la porte ? Quels sont les jalons qui permettent à cette sensation de s’exprimer ? La compréhension d’un lieu devient alors une enquête à mener par les sens et le paysage, une expérience à vivre. Peut-on véritablement connaître un paysage, tenter une définition sans le traverser ? L’écriture se révèle être un outil de saisie qui laisse au paysage son caractère mouvant et vivant. La première intuition peut ensuite être précisée en dessins, schémas, vidéos, peintures, maquettes…
Les objets présentés sur la table ont tous été réalisés à partir d’un fragment écrit dans le lieu et sont organisés selon des séquences issues du déplacement vers et à travers les îles du Frioul. On passe de perceptions ressenties lors de l’aller vers l’île en navette maritime à une évocation de la topographie de Pomègues, aux sensations d’immersion que peuvent provoquer la végétation par taches alliée à la puissance du calcaire blanc, ainsi qu’aux surprenants cadrages que peuvent provoquer le retournement du regard vers la rade et la ville. L’enquête a été présentée en juillet 2017 sous forme d’une déambulation et se compose en écho à une vidéo-performance, pierre angulaire du travail, qui révèle l’aller et le retour vers l’archipel du Frioul présentée le 26 mars 2018 à la Vieille Charité dans le cadre de la journée « Décrire le paysage de l’île ».
La description du paysage de l’île transmet toutes les richesses et nuances que peuvent offrir les perceptions d’un site. Elle peut avoir plusieurs destinations, notamment celle d’être une trace de l’expérience et prémisse d’un projet sur le site. Si les images de l’île autour de nous sont nombreuses, une fois foulé son sol, l’expérience de l’île n’en reste pas moins unique et irremplaçable.
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Élise Olmedo
Élise Olmedo est chercheuse au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) et au Centre Norbert Elias à Marseille. Docteure en géographie de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, elle a soutenu sa thèse intitulée « Cartographie sensible. Tracer une géographie du vécu par la recherche-création » en 2015. C’est à travers ce travail mené en collaboration avec des praticiens de la carte sensible en France qu’elle a rencontré Amandine Maria. A la croisée des arts et des sciences sociales, son travail s’inscrit dans le développement de méthodologies mobilisant la cartographie sensible comme outil de recherche-création. Ses recherches visent à fabriquer et restituer des cartes façonnées par le sensible créant des allers et retours entre graphie et expérience de l’espace.
Amandine Maria
Amandine Maria est artiste et paysagiste. Elle est titulaire d’un Master en Sciences de l’Art à l’Université d’Aix-en-Provence grâce à un travail de recherche sur le rapprochement du travail de l’artiste et celui du jardinier. Elle a poursuivi son intuition selon laquelle il pouvait exister une passerelle porteuse de sens entre l’art et la science, en devenant paysagiste diplômée de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Marseille-Versailles. C’est en commençant sa pratique du métier de paysagiste qu’elle a trouvé sa place dans le monde de l’art et du paysage, en montrant comment ce mélange pouvait être vecteur de compréhension du territoire.
Mathilde Szydywar Callies
Son travail se concentre sur le paysage vécu avec l’écriture comme révélateur. Paysage et écriture, poétique et concret, s’attirent et tentent de se définir. Après une formation en histoire de l’art, langue et littérature anglaise puis à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, l’écriture s’est imposée comme le médium permettant de croiser avec liberté et précision des manières de lire et dire l’espace. À travers des éditions, installations, vidéos ou lectures performances, le paysage et l’écriture tentent de réécrire ensemble, les comportements du sol, de l’eau, de l’air, des végétaux, de la lumière, des habitants…
L’exposition a été réalisée en collaboration avec Emmanuelle Verger et Amel Bismuth du Centre de documentation en sciences sociales.